• A propos de l'article de Wolf Mehling sur la sensibilité interoceptive

     

    Un des grands mérites de cet article de Wolf Mehling, "Diffentiating attention styles and regulatory aspects of self-reported interoceptive sensibility"(https://royalsocietypublishing.org/doi/pdf/10.1098/rstb.2016.0013), en dépit de ce que nous pourrions discuter en tant que praticien de la Méthode Feldenkais (MF), est la décorrélation qu'il tente entre la capacité à se sentir ou développement de l'acuité sensorielle interne (notamment des manifestations et troubles organiques) et l'expression de l'anxiété ou d'une hypocondrie.

    Si toute acuité sensorielle est jugée comme traduction d'un déséquilibre ou d'un état d'anxiété, on comprend mieux le rapport du corps médical à toute considération quant à nos sensations et aussi les recours très largement étendus à des médications visant à assourdir, ou faire taire la sensorialité ou la sensibilité. On comprend mieux au vue de ces éléments exposés dans cet article pourquoi dès qu'on décrit aussi précisément qu'on les sent les symptômes dont nous souffrons, on nous prend toujours pour des personnes anxieuses, ce qui sans aucun doute est un préjudiciable raccourcis interprétatif. Si certaines manifestations peuvent peut-être traduire des états d'anxiété, personne ne le discute, mais faut-il pour autant que ces manifestations soient jugées sans aucun fondement et juste nécessaire à faire taire ? Et non pas à tenter d'élucider, voir à transformer, à articuler, à raffiner pour les déconstruire ou les comprendre.

    Du point de vue d'un praticien Feldenkrais, on voit bien le problème d'une telle compréhension qui semble considérer nécessairement comme pathologique la capacité sensorielle de soi-même, puisque, nous, nous évertuons à en favoriser la compréhension et le développement et même sur ce point sa rééducation comme étant pour nous être vivants le premier de nos canaux de lecture (plutôt qu'"'information"*) de nous-mêmes et du monde,

    L'enjeu n'est pas de ne plus sentir avec la MF mais précisément de porter attention à ces signaux (de douleur ou aux tensions) comme l'expression d'un problème, mais "sentir" reste notre outil/ moyen majeur pour essayer de rétablir un plus grand équilibre ou trouver des options telles que ce qui occasionne ou enclenche la douleur ne s'installe plus durablement ou de façon invalidante. Non pas qu'on n'expérimente jamais la douleur, si c'était le cas je ne sais pas ce qui nous distinguerait d'une machine. Nous sommes avant tout des êtres sensibles et cette éducation de la sensibilité à quoi nous nous attelons nous praticiens Feldenkrais est le médium par lequel l'individu se connecte à soi-même, développe la connaissance de soi et du monde qui l'entoure.

    Quel est donc le bénéfice de cette éducation ou rééducation, et de ce développement de notre précision et de notre acuité à sentir et à interpréter nos sensations ?

    Comment une personne non formée au Feldenkrais peut-elle se permettre de se prononcer sur le Feldenkrais et la façon dont elle procède ?

     

    Je vous recommande la lecture de cet article qui œuvre à décorréler** la lecture de toute capacité intéroceptive et d'attention aux sensations internes ainsi que le développement de leur précision comme étant nécessairement des expressions d'anxiété ou de de dérèglement psychique (dit souvent "somatisation"). Corrélation souvent admise et tenue pour valide par le plus grand nombre véhiculée par des instances détenant sur ce point l'autorité.

    C'est sans doute pourquoi lorsque très tranquillement pourtant vous décrivez précisément ce que vous ressentez, les médecins vous regardent le plus souvent comme si votre premier mal était de souffrir d'angoisse. Je comprends à la lumière de cet article pourquoi lorsqu'on rapporte avec précision ce que nous sentons, le corps médical le voit comme le signe d'un dérèglement psychique, quand c'est avant tout à mon sens l'expression d'une acuité de la sensibilité et de la compréhension que chacun peut avoir de soi-même.

    En Feldenkrais, on part de l'idée que chacun est le mieux placé par rapport à soi-même sur ce qu'il sent, si tant est qu'il ne souffre pas d'une distorsion de la sensibilité qui elle serait probablement falsifiante.

    En revanche que parfois la perception de battements accélérés du cœur soit un signe d'anxiété n'est pas impossible mais 1/ toute l'intéroception en se réduit pas à cette manifestation de battement du cœur et 2/cette manifestation elle-même peut être toute légitime et non pas strictement ou nécessairement l'expression d'anxiété sans cause.

    On pourrait se demander si être sensible ou conscient de troubles est le signe d'anxiété? Si l'anxiété cause seule ces manifestations ? Et on voit bien que la réponse n'est pas si simple à moins de considérer toute sensation comme douteuse et trompeuse. Mais alors quels seraient les éléments d'évaluation et d'ajustement fiable dont nous pourrions disposer ?

     

    Pourquoi ou comment ce que nous favorisons par la MF -dont le développement de la précision de nos capacités à nous sentir, à sentir, est un des aspects, une des dimensions-, contribue à développer une plus grande neutralité et une capacité d'autorégulation, nous permet d'appendre à prendre soin de nous-même et dans quel sens ?

    Pourquoi l'attention et la perception de ses sensations propres apportent-elles ou permettent-elles d'accéder à une plus grande neutralité ?

    Sans doute faut-il différencier une capacité d'attention et l'hypervigilance qui est toujours la traduction d'une peur héritée ou enkystée ?

    Apprendre à pouvoir faire confiance à notre sensibilité comme étant porteuse et révélatrice de données précieuses pour soi-même voilà ce que permet des années de Feldenkrais. Une douleur est souvent le signe d'un problème réel et non pas fabulé ou rêvé, mais pas nécessaire au lieu d'émergence des symptômes. Cette capacité à tracer l'organisation plutôt que de s'occuper du symptôme, cela aussi s'éduque.

    Développer nos processus pour favoriser une réelle aptitude à l'autorégulation.

    Chacun est pour soi-même son premier référent.

    Éléments moteurs ;  le développement de la connaissance de soi et de la présence à soi comme garant de fiabilité de nos jugements et de nos évaluations, et par voie de conséquence de la justesse de nos actions ou de nos décisions.

    ll faudrait faire ressortir d'autres aspects en jeu dans notre pratique Feldenkrais et comment cela procède (et non pas nous réduire strictement à l'entrainement de la sensation de soi, même si cela est déjà considérable). Quels sont les apports de la MF qui élaborent cette aptitude croissante à tirer partie et faire bon usage de nos potentiels ?

    Cet article permet aussi de cerner pourquoi avec souvent des personnes qui pourraient être nos interlocuteurs privilégiés, on a l'impression d'un dialogue de sourd, ou même de saisir les facteurs qui font que tout dialogue demeure impossible ou sacrément compromis. Cet article, toutefois, nous donne espoir aussi que les mentalités sur la place et le rôle de la sensibilité dans nos capacités humaines cognitives, pratiques, sociales peuvent évoluer pour peut-être apparaître comme essentielles ainsi que le philosophe Merleau-Ponty le soulignait lui aussi par exemple en 1961 dans son texte L'Oeil et l'esprit.

    * cf. Fr. Varela, "Organism: A Meshwork pf Selfless Selves", 1991.

    ** voir aussi son questionnaire MAIA https://osher.ucsf.edu/research/maia et aussi https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0208034

     

     


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